Encyclopédie du management public – Préface de Jean Arthuis

Pour une transformation de la gouvernance publique

Depuis plusieurs décennies, le déchaînement de la mondialisation, la survenance de crises internationales, les réseaux sociaux et les chaînes d’information en continu mettent à rude épreuve l’art de gouverner, le management public. Faute de s’être adaptée aux mutations, s’adonnant plus aisément aux promesses coûteuses qu’aux inflexions frugales, la démocratie cède à la tentation de vivre à crédit.  Les dettes financières s’ajoutent aux dettes écologiques et sociales. A bout de souffle, l’Etat providence croule sous l’ampleur de sa prodigalité. Il est au cœur de débats passionnés. Porté par la volonté de prévenir son naufrage, un courant de pensée politique et administrative emprunte volontiers aux entreprises les concepts de management et de gouvernance. Nombre de pays de l’OCDE ont renouvelé leurs pratiques de pilotage des affaires publiques et obtenu de probants résultats.

C’est donc une louable initiative que de rassembler dans une encyclopédie les connaissances, principes, méthodes, expériences et résultats des diverses façons de piloter l’action publique, à tous niveaux, comparaisons internationales à l’appui. Le management public vise l’activité des gestionnaires dans la diversité des entités administratives. Les interactions sont multiples et appellent l’implication de toutes les parties prenantes, en interne et en harmonie avec la société civile. Il requiert psychologie, intelligence des situations, lucidité et courage. La satisfaction des besoins n’est pas qu’une question de moyens. On a maintes fois observé qu’avec des moyens identiques, des institutions comparables atteignent des performances contrastées. Lorsque la gouvernance est défaillante, le management est inopérant.

Le concept de gouvernance publique désigne la façon dont le pouvoir est exercé dans les affaires d’une communauté, nation, Europe, collectivité territoriale. Il prend en considération les institutions, les traditions, les conciliations d’intérêts contradictoires, les modes d’expression des citoyens, les arbitrages décidés au nom de l’intérêt général. La « bonne gouvernance » privilégie un faisceau de valeurs et de principes. En France, l’Etat par son histoire, sa place, son rôle et son poids reste l’acteur clé de la gouvernance publique. A l’épreuve du temps, deux dérives systémiques se sont développées au point d’hypothéquer son efficience et sa souveraineté : le centralisme bureaucratique et la spirale d’endettement. Comme si à l’engourdissement ne peut répondre que la planche à billets.

A la différence de ses voisins européens, la France est marquée par une forte centralisation. Ses administrations se sont étoffées et sédimentées, produisant profusion de textes réglementaires. De leur côté, les parlementaires, désormais privés de mandats locaux, à l’écoute des lobbies sociétaux et des groupes de pression, cèdent à la tentation d’aggraver la complexité et l’instabilité des textes. Tout semble dépendre du pouvoir central. Le phénomène s’est singulièrement amplifié depuis la constitutionnalisation du principe de précaution. Pour échapper à leur mise en cause devant les juridictions, les acteurs des échelons inférieurs attendent les instructions des ministres. L’heure n’est plus à la prise de risque. La hantise des contentieux inhibe les décideurs, y compris les ministres. Les gouvernants, après avoir reçu les avis des partenaires sociaux et des administrations centrales édictent des circulaires s’étalant sur des dizaines de pages où tous les cas de figures sont traités. Dans l’édifice institutionnel, les marges de liberté consenties aux acteurs territoriaux sont parcimonieusement bordées. Le système est sur-administré, faisant peser sur les gestionnaires publics des contrôles a priori surabondants, pointilleux et inhibants. Etrangement, ils laissent dans l’ombre l’évaluation des résultats obtenus ainsi que le contrôle a posteriori. Ce processus diffuse une ambiance de méfiance à tous les étages, peu propice à l’innovation et au développement d’une culture de la performance. La galaxie budgétaire est dense du fait de l’extrême fragmentation des entités administratives, plus de 93.000 contre 15.000 en Allemagne. L’équilibre apparent de ses comptes de la Sécurité sociale résulte d’une perfusion consentie par le budget de l’Etat. L’absconse tuyauterie de ces flux financiers évolue et s’ajuste chaque année, objet d’une documentation aussi pléthorique qu’illisible. De leur côté, les collectivités territoriales constituent un paysage éclaté. Le Mille feuilles supplée l’atonie du regroupement des communes, entretient le brouillard et la dilution des responsabilités. Le jacobinisme encourage une forme de cogestion entre la haute administration et les partenaires sociaux, mode opératoire plus enclin à rigidifier qu’à réformer. Face aux difficultés ressenties dans le pays, toutes les revendications ciblent l’Etat dont les inerties et dysfonctionnements avivent l’incompréhension des citoyens. Trop d’illusions sont encore entretenues autour du mythe de l’Etat providence.

Nos pratiques budgétaires sont un sujet d’étonnement pour nos partenaires non méditerranéens de l’Union européenne. Nous sommes soupçonnés d’addiction à la dépense, aux déficits et à la dette. Les finances publiques françaises sont rigides. Dans un engrenage fatidique, les dépenses ne baissent jamais et l’endettement progresse sans répit. Le dernier budget à l’équilibre date de 1974. Mécaniquement, en près d’un demi-siècle, la dette a bondi de moins de 20% du PIB à 100% juste avant la crise sanitaire de 2020. Le niveau des prélèvements obligatoires est parmi les plus élevés au monde, mais ne suffit pas à financer les dépenses de fonctionnement. Faute de normes budgétaires nationales, le Pacte de stabilité et de croissance fait office de garde-fou en limitant le déficit global à 3% du PIB. Sujet d’étonnamment, les débats politiques font aisément l’apologie de la dépense et du déficit, symboles du courage. Les mœurs budgétaires ne manquent jamais de transformer un déficit moins important que prévu en « cagnotte ». Les contempteurs des réformes sont toujours prompts à dénoncer la « logique comptable ». L’équilibre est synonyme d’austérité. Tant de confusion et d’abus de langage sont révélateurs d’une véritable culture dépensière. Peu importe que la dérive transgresse nos engagements européens et fragilise notre souveraineté, la dette nationale étant majoritairement souscrite par des investisseurs étrangers. De nombreux rapports ont dressé avec précision des constats alarmistes sur la situation de nos finances publiques, analysant les causes, formulant des recommandations pertinentes. Rien n’y fait, pas plus que la nouvelle Constitution financière, la LOLF, conçue et votée en 2001 à l’initiative du Parlement. Le diagnostic met en cause la gouvernance de nos institutions et la ligne politique suivie en dépit des alternances. Véritable ancrage entretenu par le Parlement, les corps intermédiaires, les médias et l’opinion publique. L’électrochoc devra-t-il venir des créanciers à l’occasion d’une cessation de paiements ? Le Portugal et la Grèce en ont fait l’expérience, la réduction des pensions de retraite a été dictée par les payeurs étrangers. Ou bien, comme au Canada en 1994, la provocation du Wall Street Journal annonçant la faillite du pays ?

La rigueur budgétaire n’exclut pas des interventions atypiques justifiées par des évènements d’une exceptionnelle gravité, telle la pandémie de Covid19. En la circonstance, la masse monétaire nécessaire pour tuer dans l’œuf le risque d’effondrement général a été heureusement livrée par la BCE. Cet épisode ne peut en aucune façon accréditer le fantasme de l’argent magique gratuit. La séquence se soldera par un surcroît de dette que tout hypothétique cantonnement ne saurait alléger. Selon toute vraisemblance, lorsque les titres de la dette Covid viendront à échéance, l’Etat ne pourra les honorer qu’en empruntant l’équivalent. C’est ainsi que « roule » la dette publique depuis des décennies. Il est à craindre qu’entre temps les taux d’intérêts aient évolué à la hausse.

Les défis incontournables qui s’annoncent, la transition énergétique, la révolution digitale et le vieillissement de la population, demandent des engagements robustes inaccessibles sans une transformation profonde de la gouvernance publique et du pilotage budgétaire. La détermination politique nécessite un fort soutien populaire. Exécutif, Parlement et opinion publique ne peuvent plus longtemps se soumettre à la tyrannie du court terme et à l’illusionnisme. L’exigence de stabilité et de vigilance prescrit une vision partagée du cap à tenir par un gouvernement dont les portefeuilles ministériels sont invariables, des assemblées parlementaires légiférant « d’une main tremblante » et contrôlant l’action du gouvernement et des administrations publiques, des citoyens avisés par des redditions de comptes éclairantes. Le déclic et la pédagogie ne peuvent venir que d’une information en rupture avec les usages du « clair-obscur » dont la pratique vient de loin. Du temps du franc il était de bon ton de jeter un voile sur la situation des finances publiques, « pour ne pas mettre en difficulté notre monnaie ». La discrétion était de mise et la communication à minima servait l’intérêt national. Eu égard aux spéculateurs avides de dévaluation, moins on en disait, mieux on se portait. Ce faisant, une culture d’opacité s’est enkystée, autorisant des pratiques périmées, servant de voile aux atermoiements. Au sommet de la pyramide, les grands corps de l’Etat, si attachés à leurs statuts, à leur positionnement et à leur pouvoir d’influence, ont ajouté l’entre soi au clair-obscur. Il est temps de diffuser la lumière dans chaque espace de la sphère publique et de présenter sans complaisance la situation globale aux Français.

La démocratie postule qu’une documentation synthétique, comme le font les entreprises, soit rendue publique. Un tableau agrégeant les comptes de l’Etat et ceux de la Sécurité sociale, analysant par nature les recettes et dépenses publiques. Information complétée par l’évaluation prévisible de l’endettement à long terme. A cet égard, à tous les niveaux, Etat, Sécurité sociale, le court terme borne l’horizon. Comparée aux pays de l’OCDE, la France se distingue par un manque de projection à long terme des budgets publics et de la dette (75 ans au Canada, 40 ans en Allemagne). Dans l’urgence, la rituelle et néfaste « technique du rabot » (baisse arbitraire et uniforme des dépenses, gel des crédits) l’emporte sur les réformes structurelles. La recherche d’affichage immédiat pousse aux artifices sans lendemain. A ce stade, le concept de management public frôle l’oxymore. Si l’information financière fait office de boussole, sa sincérité ne supporte aucun soupçon. A l’exemple de nombreux pays, une vigie indépendante s’impose dans le paysage institutionnel. Pour couper court aux joutes politiciennes et aux débats stériles, les redditions de comptes ainsi que les prévisions doivent être incontestables. C’est à cette fin que la Cour des comptes est chargée de « La certification de la régularité, de la sincérité et de la fidélité des comptes de l’Etat ».

Dotée du statut de juridiction, composée de magistrats incarnant l’élite de la haute administration, la Cour des comptes s’est muée en auditeur des comptes publics, à équidistance du Gouvernement et du Parlement. L’alerte à destination des citoyens s’opère à bas bruit. Elle produit des rapports incisifs, dénonçant dysfonctionnements et gabegies. Il est malheureusement symptomatique que la plupart restent sans suite. En fait, comme le Conseil d’Etat, elle s’apparente au pouvoir. Le va et vient incessant de ses membres entre leurs missions d’audit des comptes publics et leur participation au pouvoir exécutif met en doute son indépendance. Toute proportion gardée, c’est un peu comme si le directeur général d’une société cotée en Bourse en devenait périodiquement le commissaire aux comptes. Une déontologie stricte porterait remède à une suspicion préjudiciable et permettrait à la Cour d’être enfin entendue par les Français. Au-delà de l’Etat et de la Sécurité sociale, toute entité publique, doit faire l’objet d’une certification annuelle de ses comptes. L’autorité du certificateur dépend de son indépendance et de sa distance par rapport à tout engagement politique partisan.

Les collectivités territoriales sont protégées des dérives en ce qu’elles ne peuvent recourir à l’emprunt pour rembourser leurs dettes venant à échéance pas plus que pour financer une fraction de leurs dépenses de fonctionnement. En cela, elles se distinguent de l’Etat et de la Sécurité sociale. Elles gagneraient toutefois à soumettre leurs redditions de comptes à un contrôle annuel donnant lieu à une certification de sincérité, soit par les chambres régionales des comptes, émanation de la Cour, ou par des auditeurs privés.

Le pouvoir d’achat durable des citoyens dépend de la production effective de biens et services, en corrélation avec la durée du temps de travail. C’est en cela que les législations déterminent le niveau de vie. La croissance économique conditionne l’ampleur des ressources budgétaires. Les prélèvements obligatoires français sont parmi les plus élevés au monde. Toute augmentation est à exclure. Dans un marché ouvert à la concurrence internationale, l’impact de la fiscalité sur la compétitivité de l’économie doit être évalué avec circonspection afin de prévenir les funestes mouvements de délocalisation et de désindustrialisation. Les impôts et charges sociales, en dernier ressort, sont payés par les ménages. Il serait judicieux de cesser de leur donner l’impression qu’ils y échappent. L’impôt est au cœur de tout pacte communautaire. La bonne gouvernance doit s’affranchir des anachronismes et des sophismes. Il n’y a donc pas d’alternative à la maîtrise des dépenses. Celle-ci exige la transformation radicale du pilotage budgétaire et de la gouvernance publique.

Les adeptes de l’Etat stratège conviendront de ne confier à l’échelon supérieur que ce que l’échelon inférieur ne peut efficacement accomplir. Au-delà de la décentralisation, ce principe porte à imaginer que l’Union européenne, outre la monnaie, pourrait utilement prendre en charge l’exercice de compétences que les Etats membres ne parviendraient plus à assumer seuls, au plan national. L’augmentation du budget européen ne peut en aucune façon entraîner un supplément de dépenses.

La politique est action, et l’action vise à la réussite. En démocratie, pour être durable la réussite passe par le respect des droits fondamentaux et la participation des citoyens aux décisions, fût-ce par leurs représentants élus. La transparence, l’évaluation, la simplification et la stabilité normative, la responsabilisation, le pragmatisme, l’expérimentation sont les principes et pratiques incontournables. La bonne méthode est celle qui atteint ses objectifs. Elle reste à réinventer chaque jour. Puisse l’Encyclopédie du management public y contribuer. En attendant l’Encyclopédie de la bonne gouvernance d’un pays démocratique.

Jean Arthuis

Le 28 janvier 2022

 

Hommage rendu à la mémoire de Patrick Leroux par Jean Arthuis

Hommage rendu à la mémoire de Patrick Leroux par Jean Arthuis

Nous voici réunis, en cercle familial, élargi à la stricte intimité, pour dire un dernier adieu à Patrick.

Patrick qui a voulu que ses funérailles soient célébrées dans la discrétion, à distance des rites pompeux. Exécutant ses volontés ultimes, Armelle, Lénaïk, Anne et Katel nous ont conviés à une cérémonie d’autant plus émouvante qu’elle est confidentielle.

Patrick nous a quittés si soudainement que nous sommes dans la sidération et le chagrin, à la peine pour exprimer ce que nous ressentons, pour nous souvenir de tout ce que nous avons vécu à ses côtés, des chemins que nous avons empruntés, des actions que nous avons menées, des réflexions que nous avons partagées.

Comment relater en quelques phrases le parcours d’un enfant de Château-Gontier, viscéralement fier de ses origines bretonnes, sensible, imaginatif, poète, compositeur, interprète, homme de plume talentueux ? Plus de trente ans de compagnonnage ont forgé entre nous un lien fraternel.

Patrick avait frôlé la mort en 1983. Proche de ses parents, je prenais régulièrement des nouvelles de sa santé et de son rétablissement au lendemain de l’effroyable accident de circulation dont il fut victime, sur la route de Coudray. Le diagnostic vital était engagé, mais à force de courage et de rééducation, il retrouva sa motricité mais resta marqué à vie par un handicap éprouvant.

C’est à la fin des années 80, à l’occasion d’une campagne électorale que nous nous sommes rencontrés. Jusque-là, j’étais attentif à la carrière prometteuse du jeune artiste qui alternait entre les lumières de la scène et le journalisme. Cette campagne avait pour ambition de rassembler les quatre communes de notre agglomération.

Au sein de notre équipe, Patrick était notre barde, il avait composé un hymne enthousiaste qu’il interpréta, s’accompagnant à la guitare, en conclusion du dernier meeting, à la veille du scrutin. Le succès des urnes fut partiel et inachevé. Pour moi, l’enseignement fut clair. Je compris que nous devions renforcer notre communication et faire œuvre de pédagogie. Réélu maire, je fis appel à Patrick qui ouvrit ainsi le second volet de sa vie professionnelle, au péril de son épanouissement artistique.

Nous avons depuis lors avancé de conserve, comme on dit chez les marins, en confiance. Dans un premier temps, Patrick mit en place le service de communication pour la ville de Château-Gontier-Bazouges ainsi que pour la Mayenne angevine. Assumant parfaitement sa mission, il développa tout à la fois la communication externe et l’information à l’intérieur de nos institutions territoriales. Ancien journaliste, il était l’homme de la situation à l’égard du monde des médias. Dans les services, son empathie faisait merveille. Pour le maire, à l’époque où le cumul des mandats créait le risque de perdre de vue des faits locaux ou des attentes manifestées par des citoyens, Patrick savait écouter, évaluer et hiérarchiser les informations qu’il me transmettait. Réfutant l’esprit partisan, il avait le sens de l’intérêt général et palpait l’opinion avec discernement.

En 2001, prenant congé de la fonction publique territoriale, il devint mon assistant parlementaire, rattaché au Sénat puis au Parlement européen, en 2014. Ce nouveau statut le rendit éligible au conseil municipal et je crois pouvoir affirmer qu’il fut heureux de devenir adjoint de Philippe Henry en 2007, s’engageant dans l’action avec ferveur au service de l’intérêt général.

Ensemble nous avons mené d’autres campagnes, lancé et animé des débats, parcouru les routes de la Mayenne, des Pays de la Loire, de la Bretagne, de la région Poitou Charente.  Loyauté faite homme, Patrick fut mon confident et mon conseiller privilégié. Localement, il était l’ami de tous, sans clivage, sans discrimination. Intuitif, pragmatique, il avait l’intelligence des situations. Savait mieux que quiconque identifier la personne ou la cause qu’il fallait aider et soutenir. Il détectait et imaginait le signe à donner en guise de compréhension et de respect. Profondément humain, il ressentait les besoins réels et savait trouver les mots justes pour apaiser et réconforter. Il prit sa retraite au 1er janvier 2016 mais continua à m’accompagner lors de rencontres et conférences, notamment en Bretagne.

Dans ce qu’il est convenu d’appeler, les allées du pouvoir, Patrick se singularisait par son humilité. A l’opposé des apparatchiks si nombreux dans la sphère politique, toujours avides de capter la lumière, de faire parler d’eux, Patrick mettait un point d’honneur à rester dans l’ombre. C’est pour cela qu’il rayonnait et apparaissait exemplaire aux yeux de ses collègues.

Elus et collaborateurs lui vouaient estime et reconnaissance pour ses avis et ses conseils. Depuis mercredi, en dépit du silence observé, la nouvelle de son décès s’est propagée. Parlementaires, élus locaux, militants politiques, collaborateurs, conscients de notre proximité, m’ont adressé de nombreux messages de condoléances et témoignages poignants de sincérité, me confirmant le lien fraternel que nous avons tissé au fil des années.

Pendant toutes ces années, je n’ai jamais entendu Patrick se plaindre. Sans doute souffrait-il dans sa chair, des suites de son accident de 1983, mais sa philosophie de l’existence, son humour et sa sagesse gommaient les aspérités.

Pudique à propos de sa famille comme de lui-même, il me parlait parfois d’Armelle, de leurs filles et petits-enfants toujours avec amour et affection. Il ressentit douloureusement la disparition de son jeune frère, Jean-Michel. Nous ne manquions jamais d’évoquer notre enfance, nous nous étions croisés à Saint-Michel, j’étais déjà chez les grands lorsqu’il y commença sa scolarité. Nous parlions de nos parents, gens affables, simples et travailleurs, qui s’estimaient mutuellement. A l’évidence, nous avions des racines et des valeurs communes.

A vous Armelle, à vous Lénaïk, Anne, Katel, à vous Françoise, et à tous les vôtres, j’adresse mes pensées attristées et émues. Je veux rendre hommage à une illustre figure que nous avons aimée, son humilité excessive était sa discrète fierté.

Merci, Cher Patrick, tu nous laisses les enregistrements de tes chansons. Ta voix et tes mélodies perpétueront ta présence. Dans ton riche répertoire, nous écouterons avec émoi, en communion avec toi, ce couplet que tu as chanté sur un ton dont la malice cachait la gravité prémonitoire :

« Du temps de mes timideries,

Il me reste quelque tourment :

La peur de vieillir trop lentement,

d’être en retard à mon enterrement »

Selon ta volonté, tu n’iras pas en terre. Tu vivras dans nos cœurs et nos mémoires.

Adieu Patrick.

Jean Arthuis,

Château-Gontier, le 19 septembre 2022

MINEURS ISOLES ETRANGERS, METTONS FIN A L’HYPOCRISIE

Le sort que nous réservons aux jeunes étrangers lorsqu’ils atteignent l’âge de dix-huit ans est une hypocrisie absurde. Ils arrivent en France selon des procédés contestables. Mais nous les accueillons parce qu’ils se déclarent mineurs. Ils sont hébergés, scolarisés, reçoivent une formation professionnelle, deviennent apprentis. A leur majorité le préfet du département où ils résident leur notifie l’obligation de quitter notre pays. Acte symbolique, présumé politiquement correct, car la procédure d’expulsion, fût-elle praticable effectivement, n’est jamais mise en œuvre. Face à la pénurie de ressources humaines, l’embauche de ces jeunes étrangers est interdite. Et comme ils n’ont ni les moyens ni l’intention de repartir chez eux, ils se déclarent sans illusions demandeurs d’asile, voués à l’économie parallèle, aux trafics sordides, voire à la délinquance. Le motif officiel invoqué est d’éviter l’appel d’air. Or l’appel d’air a déjà eu lieu du fait de nos législations sociales, il a pour nom Aide Sociale à l’Enfance (ASE). Réponse administrative paradoxale, préjudiciable à tous égards.

Ces jeunes sont pour la plupart d’origine africaine, arrivés clandestinement en France, en quête d’un sort plus enviable que celui auquel les destinait leur pays natal. Bien souvent choisis et encouragés par leurs proches qui consentent à payer des sommes élevées à des réseaux de passeurs sans scrupules. Sorte d’investissement en vue d’établir en retour une source de revenus. Depuis les migrations massives déclenchées par les « printemps arabes » et l’altération du climat, leur nombre ne cesse de progresser en dépit des contrôles aux frontières extérieures de l’Europe. Leur périple s’achève dans le bureau d’une association d’asile ou un poste de police qui saisissent le Procureur de la République aux fins d’un placement d’office à l’ASE. Sans certificats d’état-civil, ou munis de fausses attestations, ils se déclarent encore loin de leurs dix-huit ans, exposent les motivations de leur exil, décrivent les chemins empruntés les épreuves subies en des termes convenus. Faute de preuves irréfutables, l’autorité judiciaire, respectueuse de la présomption de minorité, leur reconnaît le statut de « Mineur Isolé Etranger ». En conséquence, elle les place sous la responsabilité de l’ASE dépendant du Conseil départemental. Ce service accompagne les familles en difficulté pour assurer la protection et l’éducation de leurs enfants et prend en charge les jeunes privés de leurs parents ou victimes de maltraitance. A l’origine service d’Etat, l’ASE fut décentralisée en 1983, bien avant l’explosion des migrations.

Nos valeurs humanistes et les conventions internationales nous dictent les principes d’une politique d’asile et d’immigration. Le sort des mineurs isolés étrangers mérite une attention particulière. Il n’est pas question ici de remettre en cause l’ASE. En revanche, il est permis de s’interroger sur les rôles respectifs des départements et de l’Etat en matière d’accueil et de prise en charge des mineurs étrangers Si le contrôle des frontières est perfectible, soyons réalistes. Dès lors que ces jeunes ont atteint leur majorité, qu’ils n’ont aucune intention de rentrer chez eux et que nous n’avons pas la volonté, ni les moyens, de les expulser, notre devoir est de leur délivrer un titre de séjour.

N’attendons pas que les patrons se lancent dans une grève de la faim, à l’exemple de ce boulanger de Besançon, qui obtint en janvier 2021 pour son apprenti guinéen le titre de séjour qui venait de lui être refusé par la préfecture du Doubs. Partout en France, des postes sont à pourvoir. Autoriser avec discernement les jeunes étrangers dont les parcours d’intégration sont exemplaires et les perspectives d’insertion réelles est un devoir. Réalisme, sens des responsabilités, pragmatisme nous invitent à faire justice de nos tabous. La transformation de la gouvernance publique et l’indispensable déconcentration doivent permettre au représentant de l’Etat, dans chaque département, de décider en conscience et confiance. Un signal du gouvernement en ce sens serait bienvenu.

Jean Arthuis

Le 22 août 2022