Cadre financier 2021-2027 : illusion démocratique, stop ou encore ?
Le Parlement européen se différencie des parlements des nations démocratiques en ce qu’il n’a pas la main sur les ressources du budget. Les gouvernements des Etats membres tiennent serrés les cordons de la bourse en fixant eux-mêmes les contributions qu’ils consentent à verser. Toute négociation étant génératrice de surenchères et de concessions, il est convenu que le grand débat n’aurait lieu que tous les sept ans, à l’occasion de l’accord sur le projet de cadre financier pluriannuel (CFP). Révélateur d’une ambition contenue, le budget européen plafonne à 1% des richesses produites par les pays de l’Union. Les ressources issues des budgets nationaux font l’objet d’une large redistribution au profit des contributeurs, laissant peu de place aux actions communes et autres « biens publics européens ». Héritage des temps d’ouverture des frontières où il fallait compenser la fragilisation des filières agricoles ou de certains territoires en retard de développement. Dans ce contexte, les députés sont à la peine pour démontrer que l’Union n’est pas qu’une organisation internationale hantée par les égoïsmes nationaux et la volonté, en termes de moyens, de camper sur le minimum syndical. Au fil des traités, avec une belle détermination, le Parlement grapille du pouvoir et entend prouver qu’en matière budgétaire il n’est pas complice d’un simulacre. Exercice difficile avec des prérogatives qui se limitent à autoriser et contrôler les dépenses dont le volume global est rigoureusement plafonné. La préparation du CFP 2021-2027 révèle l’urgence de lever les masques et artifices qui entretiennent une illusion démocratique.
Parlement en quête de pouvoir budgétaire
Les procédures budgétaires annuelles, au lendemain de l’élection des députés au suffrage direct, en 1979, ont été d’emblée source de conflits entre le Conseil et le Parlement avide d’identité et d’influence. Pour pacifier ces discussions, le premier « paquet Delors » a introduit en 1988 la pratique des « perspectives financières ». Fruit d’un accord interinstitutionnel, il s’apparentait toutefois à une autolimitation des prérogatives parlementaires par un verrouillage visant à calmer les pulsions dépensières. Avancée cadenassée qui a quand même fait naître l’espoir d’une capacité à infléchir les termes d’un accord politique réservé jusque-là aux seuls chefs d’Etat ou de gouvernement réunis en Conseil européen Achevant le processus, le traité de Lisbonne a donné un nom au corset et défini sa fonction : « le cadre financier pluriannuel vise à assurer l’évolution ordonnée des dépenses dans la limite des ressources propres… Le budget annuel respecte le cadre financier pluriannuel ». Le Parlement est partie prenante, il dispose d’un pouvoir d’approbation, équivalent à un droit de veto. Ces nouvelles dispositions n’ont réellement pris corps qu’à l’expiration du CFP 2007-2013. Première occasion pour lui de tester son pouvoir d’approuver ou de rejeter la décision unanime des membres du Conseil « Affaires générales » composé par les ministres des affaires étrangères. Instance diplomatique soumise aux chefs d’Etat ou de gouvernement, sans marges de manœuvre suffisantes pour négocier. Les volumes de dépenses étant ainsi plafonnés par programmes, l’engagement des crédits et les payements nécessitent des textes réglementaires soumis à la codécision. A ce stade, les députés peuvent exercer leur droit d’amendement tout en redoutant que l’accord unanime sur les volumes ait été conditionné par la satisfaction de certaines exigences d’un ou plusieurs pays, autant de diktats empiétant sur le champ législatif.
Fin 2013, sous présidence irlandaise, le projet de CFP 2014-2020 dût se plier aux injonctions du Premier ministre britannique, David Cameron, et limiter strictement son volume à 1% du PIB des 28. Le président de la commission des budgets, Alain Lamassoure, et ses collègues de l’époque, de même que le président du Parlement, Martin Schulz, qui en avait fait une affaire personnelle, n’avaient pas ménagé leur peine face au Conseil. Au stade ultime, le couperet est tombé. Budget étriqué, doté de maigres marges de flexibilité, arrachées par le Parlement, privant l’Union de tout moyen significatif en cas de circonstances imprévues ou de situations de crise. En guise de consolation, pour sauver l’honneur du Parlement et saluer son opiniâtreté, il fut convenu que ce CFP ferait l’objet d’une révision à mi-parcours et qu’en outre, un groupe de personnalités de haut niveau plancherait sur l’avènement de nouvelles ressources propres. Habillage classique pour conclure une négociation dont l’issue reste dans la main de celui qui paye.
Avant la révision à mi-parcours, les flexibilités montrent vite leur nécessité et leurs limites : la volonté de relancer l’investissement (plan Juncker) et la crise déclenchée par les migrations massives de 2015 les épuisent rapidement. C’est alors que vient la révision promise. Le Parlement a tous les arguments en main pour souligner l’inadéquation du CFP aux évènements. Il rappelle que la rigidité aboutit à des contournements malsains. Nécessité faisant loi, les fonds dédiés et autres instruments financiers se sont multipliés, générant une véritable « galaxie » autour du budget de l’Union. Le principe d’unité budgétaire est ainsi allègrement piétiné. Pratiques déjà anciennes souvent improvisées au détriment de la lisibilité due aux citoyens. Le Conseil est si réservé qu’il ouvre en préambule un débat sémantique : révision ou revue ? Au-delà de la rhétorique de circonstance et des « éléments de langage », le Conseil impose sa loi. Pas question de desserrer les cordons de la bourse. Faute de moyens budgétaires, l’Europe se montre impuissante face aux crises. Triste constat pour Jean-Claude Juncker qui s’était proclamé, lors de son investiture, « Président de la Commission de la dernière chance ». Au Parlement, sous l’influence du duopole PPE et S&D, majoritaire depuis 1979, l’entente est de mise pour convenir, au stade ultime des négociations, d’un alignement sur la position du Conseil.
Quant au groupe sur les ressources propres, composé de représentants du Conseil, du Parlement et de la Commission, présidé par Mario Monti, il rend public son rapport de constats et de propositions en décembre 2016. Avec sagesse, il stigmatise l’illisibilité du budget de l’Union, souligne la nécessité d’établir un lien entre les actions conduites et les ressources qui les financent et met en garde contre l’idée que de nouvelles ressources propres pourraient accroître mécaniquement les moyens financiers. Judicieux rappel de l’exigence de neutralité fiscale. Elles ont pour objet de réduire la contribution des Etats membres et d’alléger leur tutelle. La tyrannie du « juste retour », (combien je paye, combien je reçois) doit cesser.
CFP 2021-2027, quel budget pour quelle Europe ?
L’adoption du CFP 2021-2027 vient d’entrer dans sa phase finale. Paroxysme d’un rapport de forces jusqu’à maintenant très inégalitaire. C’est l’aboutissement d’une longue mise sous tension impulsée dès le début de la mandature précédente. Echaudé par les déconvenues de 2013, la brutale et arbitraire adoption du CFP 2014-2020, le Parlement installé en juillet 2014 entend desserrer l’étau et déjouer tout piège. Pour faire pression sur le Conseil et la Commission, il exprime au plus tôt sa propre vision et prend les devants. Dès 2014, la commission des budgets (BUDG) désigne deux rapporteurs CFP et deux rapporteurs « ressources propres ». Les autres commissions sectorielles sont associées à la construction d’un budget crédible à la mesure des défis du futur. Le dispositif en place doit permettre au Parlement de défier les deux autres acteurs, la Commission et le Conseil, inégalement mobilisés. La première, dont le rôle est central, devait initialement publier ses propositions dès l’automne 2017. L’échéance est décalée au printemps suivant du fait des incertitudes que le Brexit fait peser sur le budget. Le traité la charge de donner à l’Union européenne « les moyens nécessaires pour atteindre ses objectifs et pour mener à bien ses politiques ». Responsabilité vitale et anticipatoire puisque le budget et les programmes sont bouclés pour sept ans. A cette époque, Juncker et le commissaire chargé du budget, Gunther Oettinger, alertent et soulignent qu’il s’agit avant tout de définir l’Europe que nous voulons. Conséquents, ils diffusent et mettent en débat livre blanc et « reflection paper », scénarii à l’appui (le plus ambitieux hisse la barre à 1,2% du PIB). A l’automne, le collège des commissaires s’autorise à concevoir un budget contenu entre 1,1 et 1,2% du PIB, donnant suite à une promesse hardie du président Juncker dans son récent discours de septembre sur l’état de l’Union. Sur sa lancée, la Commission livre au Sommet informel des dirigeants politiques une communication alerte et volontariste. Le Parlement déterminé et la Commission diligente sont à la manœuvre. Cet activisme laisse le Conseil indifférent, peu enclin à faire connaître une position qui ne sera arrêtée qu’au dernier moment. Etonnante procrastination. Il s’agit pourtant, dans une globalisation instable et de moins en moins prévisible, de fixer les moyens et de forger les instruments d’action pour une période longue. Année par année les plafonds sont arrêtés par catégories de dépenses et par programmes. Les défis et les enjeux sont lourds, rien n’y fait, impossible de percevoir la vision, le projet, le dessein du Conseil. Le scénario qui se profile prend des allures de déjà-vu. Comment s’en échapper ?
A défaut d’un débat politique sur l’avenir et les priorités de l’Union, les travaux préparatoires s’enchaînent et s’intensifient. La Commission ne tarde pas à sombrer dans le « Brexit gap », oubliant ses audaces et procède soudainement à des ajustements frileux. Fidèles aux usages, les protagonistes vont d’emblée dans les considérations techniques, les bases légales, les procédures, la technocratie, sans prendre le temps de passer par la case politique et tenter de répondre à la question « quel budget pour quelle Europe ? ». Pressé par la Commission, Oettinger se démène avec l’espoir de conclure le CFP avant les élections de mai 2019. D’où le renoncement à toute ambition afin de trouver rapidement un terrain d’atterrissage acceptable par le Conseil. Espoir étonnamment partagé par le Parlement devenu fébrile, comme si la majorité sortante redoutait les options d’une nouvelle majorité. De bonnes raisons sont néanmoins invoquées. Le vote tardif du CFP 2014-2020 a eu des conséquences préjudiciables. Les opérateurs n’ont pu s’approprier les nouveaux programmes immédiatement, reportant dans le temps la réalisation de projets attendus. Situation paradoxale alors que l’Europe souffrait d’un déficit d’investissements. Par ailleurs, si le CFP et les programmes nécessaires à sa mise en oeuvre ne sont pas bouclés avant les élections, les nouveaux députés auront besoin de temps pour prendre position. Et l’accord, comme en 2013, ne sera conclu qu’à la veille du lancement du nouveau CFP, produisant les mêmes retards et inerties dommageables. Ce qui était redouté est en train de se concrétiser. L’entonnoir est en place pour écarter toute alternative à la volonté du conseil. Cela étant, au lendemain de son renouvellement, le Parlement ne serait-il pas dans son bon droit s’il demandait un report d’échéance ?
Pendant la gestation de la Commission, le précédent Parlement a pris les devants et fait connaître ses attentes par le vote d’une résolution dès le 10 octobre 2017. Il brise le plafond du 1% du PIB. Avec 1,3%, les enveloppes de la cohésion et de la PAC seront maintenues, les crédits alloués à la recherche, à la cohésion sociale, au climat et à l’environnement seront revalorisés. Erasmus+ pourra être triplé. Le Brexit est pris en compte, augurant une perte annuelle d’une douzaine de milliards d’euros. Corrélativement, la fin du « chèque britannique » négocié en son temps par Margareth Thatcher doit s’accompagner de la disparition des rabais consentis à certains pays (Allemagne, Autriche, Danemark, Pays-Bas) sur un modèle désormais périmé.
Le temps presse. Le moment stratégique arrive enfin. Les propositions CFP 2021-2027 de la Commission sont rendues publiques le 2 mai 2018, complétées dans les semaines suivantes par les propositions législatives de programmes. Le volume global atteint 1,11% du PIB par une astuce de présentation. L’agrégation dans le CFP du Fonds Européen de Développement, jalousement tenu à l’écart par ses gestionnaires, améliore le pourcentage optique de +0,03. Le Parlement est prompt à dénoncer les habillages flatteurs. Déçu par les coups de rabot infligés à la PAC et à la cohésion, il revient à la charge avec un rapport intérimaire qu’il vote en novembre 2018. Pour la première fois dans le processus CFP, le Parlement précise ses objectifs et les chiffre, programme par programme. Outre les crédits ainsi détaillés, il décrit les nouvelles ressources propres à percevoir (produit des droits d’émission de CO2, taxe carbone sur les importations, impôt sur les bénéfices des sociétés commerciales). Evidemment, ces ressources seront assises et recouvrées par les Etats dont la souveraineté fiscale sera respectée. Pour y parvenir, les législations nationales devront transcrire les dispositions nécessaires. Le produit collecté sera reversé à l’Union, à l’exemple des droits de douane perçus sur les importations provenant de pays tiers. La raison doit se nourrir d’un brin d’utopie pour faire progresser la cause européenne. Le Parlement est dans son rôle. Il provoque judicieusement le sanctuaire de la souveraineté fiscale.
Entre temps, le Conseil européen de décembre écarte tout accord avant l’automne 2019, sous présidence finlandaise. Les tenants du vote avant élections en sont marris. Cet ajournement à une échéance post-électorale permet momentanément au commissaire Oettinger de caresser encore l’espoir qu’il pourrait obtenir un accord avant la fin de son propre mandat prévue au 1er novembre. Il en faut plus pour décourager les députés. Pendant ces mois précédant l’élection, la mobilisation est maximale pour se faire entendre du Conseil. Placé sous l’autorité du Président de l’Assemblée, un groupe de suivi des avancées réunit président, rapporteurs et coordinateurs de BUDG. Sa composition gage la pluralité politique. Cette instance ad hoc délègue au président de la commission et aux rapporteurs la mission de rencontrer la présidence du Conseil Affaires générales à la veille et à l’issue de chacune de ses réunions mensuelles pour évaluer les progrès attendus et obtenus. Ce faisant, tout est tenté pour pénétrer les fameuses « boîtes de négociation » qui fractionnent, au sein du Conseil, la négociation par sous-ensembles. Les négociateurs du Parlement n’entendent pas rester les bras croisés et réagissent immédiatement à chaque nouvelle boîte de négociation par une version explicite de leurs positions et objections. En temps réel, ils portent à la connaissance du Conseil les lignes rouges des députés. Lignes concertées entre BUDG et les commissions sectorielles. S’y trouvent mêlés des éléments de la compétence exclusive du Conseil, le CFP, et d’autres soumis à la codécision législative, les programmes. L’objectif étant d’éviter au Parlement, un beau matin, de découvrir un accord global dont tous les termes ont cessé d’être négociables. Ces rencontres n’ont pas dissipé la perplexité des parlementaires tant leurs interlocuteurs, parfois le ministre, souvent l’ambassadeur, se sont livrés à un exercice d’exquise courtoisie privée de contenu politique et de convictions.
Pour aller jusqu’au bout de leur détermination, le président et les rapporteurs de BUDG acceptent, à l’invitation de la présidence roumaine, de se rendent à Bucarest, le 12 mars 2019. Devant les diplomates représentant des pays membres, quelques ministres, des ambassadeurs ou des hauts fonctionnaires, signe du relatif intérêt politique de la réunion, les positions du Parlement sont une fois encore rappelées avec insistance. En écho les députés entendent les réactions et commentaires généraux, déconcertant de conformisme et de banalité. Etrange impression d’être témoins d’un échange entre les membres d’un club à propos de la fixation des prochaines cotisations. Rien de nouveau, manifestement les chefs d’Etat ou de gouvernement ne sont pas encore entrés dans la discussion. Il faut en conclure qu’il est urgent d’attendre que les fonctionnaires, experts budgétaires et diplomates, se soient mis d’accord pour concilier les vues des « net contributeurs » (les pays qui versent plus que ce qu’ils reçoivent, ils sont 9 avec le Royaume-Uni) avec celles des « amis de la cohésion » (ceux qui empochent plus que ce qu’il leur en coûte). Ayons bien à l’esprit que le budget de l’UE est d’abord et essentiellement une redistribution de crédits, plus des deux tiers, et que les Etats sont convenus de ne faire conjointement que le strict minimum.
L’arme parlementaire du « plan de contingence »
Résolument offensif au plan méthodologique, le Parlement n’est pas parvenu à s’extraire des sentiers battus quant au contenu de sa proposition. Pas de vision novatrice, pas d’arbitrage courageux, pas de hiérarchie dans les priorités. Bref, tout se résume à « Plus d’argent ». Quant aux nouvelles ressources propres, elles soulignent l’aspect chimérique du système. Dans ces conditions, il est difficile d’impacter les propositions de la Commission qui constituent la base et la trame des négociations décisives. Au Parlement, elles ont eu l’effet d’une douche froide en ce que le volume global ne brise que marginalement le plafond de 1% du PIB. En outre, ouvrant de nouvelles actions dans les domaines de la Défense, du contrôle des migrations, de la recherche et de l’intelligence artificielle, du soutien à la zone euro, du climat, il a fallu réduire les allocations réservées aux deux « vaches sacrées » que sont la PAC et la politique de cohésion (fonds de développement régional, fonds social européen). Fatalement, après mise en lumière des astuces de présentation, est venue la comparaison des crédits d’un CFP à l’autre. Bataille de chiffres compliquée-, euros constants ou euros courants, nouvelle structure du budget, sept rubriques et non plus cinq, 37 programmes en remplacement de 52. Les programmes sont regroupés en 14 « Clusters » par types d’actions (Cf. tableaux annexes). Chaque rubrique comprend un ou plusieurs clusters. Ainsi, par exemple, la rubrique « ressources naturelles et environnement » comporte deux clusters : « Agriculture et pêche », « Environnement et Action pour le climat ». Ces innovations dans la présentation répondent au souhait du Parlement. Elles constituent un incontestable progrès facilitant la lisibilité. La redistribution via PAC et politique de cohésion passe de près de 70% à 65%. Deux nouvelles rubriques sont affichées : « Migrations et gestion des frontières » et « Sécurité et défense ». Autre innovation, la conditionnalité des aides versées aux Etats au titre de la cohésion. Elle vise à prévenir la transgression des valeurs et règles de l’état de droit. Dit autrement, tout manquement au respect des dispositions contenues dans la charte des valeurs de l’Union suspend l’octroi des subsides européens. Novation certes judicieuse mais dont chacun mesure le caractère clivant à la veille d’une décision prise à l’unanimité.
A l’approche de la conclusion, les marges se rétrécissent. La présidence finlandaise, à l’automne 2019, un an et demi après la proposition de la Commission, a enfin sorti le Conseil de son inertie. Ce faisant, elle a ramené le plafond à 1,07% du PIB à 27, opérant un coup de rabot linéaire sur toutes les rubriques proposées par la Commission. N’y échappent que la PAC et la cohésion déjà sérieusement toisées par la Commission. Elle se donne comme priorités d’allouer plus de moyens aux nouveaux programmes et actions, de rééquilibrer les sommes dédiées à l’agriculture et au développement rural par rapport à la cohésion et, suivant en cela le leitmotiv de tout Conseil, d’alléger les dépenses administratives. Apparemment résignée, la Commission approuve les améliorations relatives aux sujets transversaux tels que la conditionnalité liée au respect de l’état de droit, la protection du climat, la convergence externe, la valeur ajoutée des dépenses. En revanche, elle critique les coupes dans certains programmes et regrette le manque d’ambition sur les instruments de flexibilité et les nouvelles réglementations des programmes. Tonalité plus que réservée du côté des représentants permanents des différents pays, ambassadeurs et hauts fonctionnaires nationaux. Les contributeurs nets jugent le volume trop élevé et demandent le maintien à 1% du PIB, alors que les Amis de la cohésion l’estiment trop faible. Accueil assez favorable pour la position claire et ferme en faveur de la conditionnalité respect des règles état de droit et approbation de la suppression des rabais à l’exception des pays qui en bénéficient. Autant de critiques acrimonieuses augurant un Conseil européen désastreux en février. Branle-bas de combat au Parlement, en décembre, la conférence des présidents des groupes politiques décide de « suspendre les négociations sur les programmes sectoriels », au motif qu’il n’est plus possible de parler sérieusement des objectifs des programmes tant les enveloppes sont menacées.
Les propositions du nouveau président du Conseil européen, Charles Michel, sont attendues avec l’espoir renforcé par l’élection d’Ursula Von der Leyen à la présidence de la Commission. Leur agenda est au diapason : Green deal, économie numérique, Europe géopolitique. Sans oublier les engagements précis pris tout récemment devant le Parlement. A la stupéfaction des députés, la Commission se range du côté du Conseil et Charles Michel soumet au Conseil européen spécial de février des propositions très proches de celles formulées par la présidence finlandaise. Les critiques de la Commission et les promesses de sa présidente, notamment le triplement d’Erasmus, sont oubliées, comme si le budget et l’agenda politique étaient déconnectés. Il a réajusté et augmenté les montants alloués à la politique de cohésion ainsi qu’aux ressources naturelles, prenant soin de ramener les crédits des instruments de flexibilité au niveau de la proposition de la Commission. Sans doute un gonflage artificiel des marges de concessions pour anesthésier le parlement dans la dernière ligne droite. Quant aux ressources propres, elles se limitent à l’introduction de taxes sur les plastiques non recyclés et sur le produit du système d’échange de droit d’émission de CO2. Le Parlement a réagi vigoureusement à ces propositions, dénonçant un financement très en deçà de ses attentes, conçu par des techniciens (des technocrates) hors de toute implication politique, minimisant les crédits destinés à l’agriculture, à la cohésion, à la recherche, aux infrastructures, au digital, aux PME, à Erasmus, à l’emploi des jeunes, aux migrations, à la défense, entre autres. Même frustration à propos des ressources propres en raison des reculs et de la réactivation des rabais liés au Chèque britannique.
Le dénouement est proche. Il est à craindre que l’emballage final se fasse dans la précipitation habituelle et que le Parlement soit placé devant un accord irréversible, à prendre ou à laisser. Voudrait-il le repousser qu’il aurait encore du mal à s’en expliquer auprès de l’opinion publique car il n’a pas pris le temps d’exprimer sa vision et ses priorités en répondant à la question Quel budget pour quelle Europe ? Dès lors, il peut légitimement demander un délai supplémentaire.
Récemment élu, le Parlement peut invoquer les dispositions de l’article 312, 4ème alinéa, « Lorsque le règlement du conseil fixant un nouveau cadre financier n’a pas été adopté à l’échéance du cadre précédent, les plafonds et toutes les autres dispositions correspondant à la dernière année de celui-ci sont prorogées jusqu’à l’adoption de cet acte ». C’est l’idée du plan B, le plan de contingence. C’est l’arme dont dispose le Parlement pour faire avancer l’Europe. D’où l’idée d’un « plan de contingence » imaginée pour échapper à la pression qu’exerce la proximité de l’échéance fatidique. Le traité prévoit la prolongation des plafonds en cas de non accord. Ce qui, du fait du retrait du Royaume-Uni donnerait un volume de 1,15% et la disparition des rabais.
CFP, plus jamais ça !
Alors que l’actualité met en lumière l’impuissance de l’Union, le temps est venu de reconnaître que son budget, tel qu’il est mis en pratique, constitue une illusion démocratique. Le décalage entre les proclamations politiques et le simulacre budgétaire est devenu intolérable. Marchandages sordides, combien je donne ? combien je reçois ? La courte vue et le renoncement à l’autonomie stratégique ne sont plus admissibles. Le récent déchaînement de la mondialisation, le choc des délocalisations et celui de la digitalisation, ont changé la donne, périmant certaines prérogatives de souveraineté exercées à l’échelon national. L’identification des biens publics européens, Défense et sécurité, migrations, intelligence artificielle, environnement et climat, conduit à envisager que des crédits inefficacement déployés par les Etats seuls puissent être transférés dans le budget de l’Union. Condition première pour démontrer ce que peut être la valeur ajoutée de l’Europe. Dit autrement, l’augmentation du budget de l’Union doit correspondre à un allégement des budgets nationaux et ne peut en aucune façon aboutir à l’accroissement de la dépense publique en Europe. Le transfert de dépenses devra s’accompagner du transfert du produit d’impôts et de taxes, à l’exemple de la TVA. Ce CFP devrait marquer la fin d’une procédure méfiante et infantilisante, objet de vains combats parlementaires. Reconnaissons que le budget de l’Union est sincère en ce qu’il démontre que les Etats membres ne sont pas disposés à agir ensemble. Note optimiste, les marges de progression sont gigantesques. Quant au cadre financier pluriannuel, de grâce, plus jamais ça !
Jean Arthuis