L’ancien ministre Jean Arthuis appelle l’Europe à passer de l’association au fédéralisme
Interview Nice Matin – 13/05/2020
Ministre de l’Économie de Jacques Chirac de 1995 à 1997, ancien député européen et président de la commission des budgets du Parlement européen, Jean Arthuis, centriste historique aujourd’hui passé à LREM, plaide pour une Europe fédérale mieux armée, qu’il invite à se « déconfiner politiquement ».
On entend marteler que l’Union européenne n’a pas été à la hauteur de la crise sanitaire. Est-ce vraiment la réalité ?
L’Europe n’a pas été à la hauteur. Mais cela tient au fait qu’elle est d’abord une entité économique et financière. On lui fait procès de ne pas être efficace sur des actions que les États membres l’empêchent de mener. On l’a vu lors des migrations massives de 2014-2015 et des tragédies qui se sont produites en Méditerranée : les traités ne lui ont pas donné les moyens d’agir. L’espoir que j’ai, c’est que la double crise sanitaire et économique que nous vivons soit l’occasion de déconfiner politiquement l’Europe. Face aux défis sans précédent de la mondialisation, les États seuls n’ont plus les moyens d’assumer, que ce soit en matière de défense, de climat, de migrations, d’économie numérique… Il est urgent de sortir d’une Europe qui n’est qu’une addition d’égoïsmes nationaux.
En matière sanitaire, qu’est-ce l’Europe pourrait faire de plus ?
Nous pourrions d’abord mettre en commun nos capacités de recherche, qui nécessitent des crédits considérables. Mais aussi développer nos stocks de masques et de médicaments pour pouvoir nous entraider sans avoir à faire appel aux Chinois. Dans ces domaines, il y a nécessité pour l’Europe d’être indépendante. Or, pour des raisons économiques, on a délocalisé la production de médicaments et de matériels sanitaires. L’Europe doit assurer son autonomie sanitaire et, donc, se réindustrialiser dans ce secteur.
La crise sanitaire va-t-elle générer un repli accru face aux migrations ?
L’Europe a été d’une grande naïveté. Elle s’est créée à l’époque du multilatéralisme, où l’on pensait que le commerce assurerait la prospérité et la paix. Et en matière de migrations, les textes européens sont antérieurs aux migrations massives. Ils sont anachroniques. L’urgence est à une véritable Europe politique.
Y a-t-il une contradiction entre l’aspiration à la décentralisation et plus de pouvoir pour l’Europe ?
Cela va de pair. Le vrai sujet est le principe de subsidiarité : exercer le pouvoir là où il est le plus efficace. Des actions ont leur pleine efficacité au plan territorial, d’autres relèvent de la solidarité nationale, d’autres enfin du niveau européen. Il ne s’agit pas que l’Europe s’occupe de tout, mais de ce dont les États ne peuvent plus s’occuper efficacement.
Craignez-vous que la solidarité européenne soit mise à mal par l’Allemagne ?
La décision prise par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, qui remet en cause la politique de rachat de dette publique par la Banque centrale européenne, met en péril la zone euro. Mais si la BCE fait marcher la planche à billets, c’est parce que les États n’ont jamais voulu créer un budget de la zone euro. Nous avons une zone euro qui a une politique monétaire unique, mais pas de politique économique ni budgétaire unique, puisqu’elle n’est qu’une addition de politiques nationales. Il y a besoin d’un budget de la zone euro et de traités nouveaux.
Quelles seront les conséquences de la fin des 3 % de déficit public ?
Il va y avoir une explosion de la dette publique, à des degrés divers. Il faudra bien revenir à des critères d’assainissement pour équilibrer les comptes. Mais être gouverné par un pacte de stabilité et de croissance, c’est être gouverné par des textes. Il faut un vrai gouvernement européen, économique et financier, dont les Allemands n’ont pas voulu en 1996. La priorité est de donner à l’Union une impulsion politique, pour passer d’une association internationale à une Europe fédérale, qui prenne en charge les biens communs européens, là où les États n’ont plus la main.