Pour opérer l’ensemble des mutations exigées par les défis du moment, les politiques doivent apprendre à délivrer une pédagogie accessible au grand public. Pour Jean Arthuis, ancien ministre de l’Économie et des Finances, on est en loin.

Le siège du ministère de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi, dans le quartier de Bercy, à Paris. | ARCHIVES DANIEL FOURAY, OUEST-FRANCE

Ouest-France Jean ARTHUIS (*). Publié le 30/01/2023 à 07h00

Comment se fait-il que la pédagogie des réformes soit à ce point évanescente ? Face à l’enchaînement des crises, citoyens, acteurs économiques et sociaux, corps intermédiaires, élus territoriaux se tournent vers l’État central pour surmonter leurs difficultés. Chacun reste dans son couloir de nage, défend son pré carré, ses avantages acquis, et s’oppose à tout changement. À défaut de faire partager une vision systémique, de parvenir à transformer les structures et son mode de gouvernance, le pouvoir met la main à la poche, à crédit.

Alors que le monde bascule vers une ère nouvelle, les grands services publics, la santé, l’enseignement, la sécurité ou la Justice multiplient les signes de faiblesse. Les déficits de notre balance commerciale et de nos finances publiques ne sont pas moins préoccupants. Ils signifient que nous ne produisons plus à la hauteur de nos consommations et que depuis 1975 nos budgets, continûment dans le rouge, poussent l’endettement aux limites du soutenable. La réaction collective se fait attendre.

L’ampleur des mutations à opérer appelle lucidité et courage. Encore faut-il délivrer une pédagogie accessible à l’opinion publique. Malheureusement, le clair-obscur et l’entre soi qui prévalent au sein de l’État prolongent une culture d’irresponsabilité. Phénomène d’autant plus inquiétant que le pouvoir de l’État central est éparpillé dans une galaxie d’organismes soi-disant indépendants. Il y a urgence à sortir de l’engourdissement qui nous menace. Nous avons besoin pour cela d’une vision globale. L’acceptabilité des réformes en dépend.

Le déclic pédagogique ne peut venir que d’une information en rupture avec les usages du « clair-obscur » dont la pratique vient de loin. Du temps du franc, il était de bon ton de jeter un voile sur la situation des finances publiques, « pour ne pas mettre en difficulté notre monnaie ». La discrétion était de mise et la communication a minima était supposée servir l’intérêt national.

Culture d’opacité

Moins on en disait, mieux on se portait. Ce faisant, une culture d’opacité s’est enkystée. La compréhension de la réalité budgétaire interdit la longue-vue au profit de la loupe. La complexité et la fragmentation des finances publiques entretiennent le brouillard. Il n’est donc pas étonnant que le solde des comptes publics ne soit pas établi par les comptables mais par l’Insee !

La démocratie postule qu’une information synthétique, claire, lisible, soit rendue publique. Un tableau agrégeant les comptes de l’État et ceux de la Sécurité sociale, décrivant les recettes et les dépenses publiques. Information complétée par l’évaluation prévisible de l’endettement à long terme. Exercice en rupture avec la pratique du court terme qui borne l’horizon budgétaire de l’État et de la Sécurité sociale, à l’exception du Conseil d’orientation des retraites. Comparée aux pays de l’OCDE, la France se distingue par un manque de projection à long terme, budgets et dette (40 ans en Allemagne). La recherche d’affichage immédiat pousse aux artifices sans lendemain. Si l’information financière fait office de boussole, sa sincérité ne supporte aucun soupçon. À l’exemple de nombreux pays, une vigie indépendante s’impose dans le paysage institutionnel. Les redditions de comptes ainsi que les prévisions doivent être incontestables.

Au sommet de la pyramide, les acteurs de la haute administration, attachés à leur pouvoir d’influence, ont ajouté l’entre soi au clair-obscur. Les corps intermédiaires, les syndicats et les partis politiques, peinent à s’extraire de leurs positions rituelles. Il est temps de diffuser la lumière dans chaque espace de la sphère publique et de présenter sans complaisance la situation globale aux Français. Les grandes réformes, assurance-chômage ou retraites, se justifient au regard la situation de nos finances. Le gouvernement doit éclairer l’opinion, sans fard, sans recours aux artifices de la communication. La France a tous les atouts pour dépasser le conservatisme ambiant et se projeter avec confiance dans l’avenir. Question de lucidité, de solidarité et de courage.