Le sort que nous réservons aux jeunes étrangers lorsqu’ils atteignent l’âge de dix-huit ans est une hypocrisie absurde. Ils arrivent en France selon des procédés contestables. Mais nous les accueillons parce qu’ils se déclarent mineurs. Ils sont hébergés, scolarisés, reçoivent une formation professionnelle, deviennent apprentis. A leur majorité le préfet du département où ils résident leur notifie l’obligation de quitter notre pays. Acte symbolique, présumé politiquement correct, car la procédure d’expulsion, fût-elle praticable effectivement, n’est jamais mise en œuvre. Face à la pénurie de ressources humaines, l’embauche de ces jeunes étrangers est interdite. Et comme ils n’ont ni les moyens ni l’intention de repartir chez eux, ils se déclarent sans illusions demandeurs d’asile, voués à l’économie parallèle, aux trafics sordides, voire à la délinquance. Le motif officiel invoqué est d’éviter l’appel d’air. Or l’appel d’air a déjà eu lieu du fait de nos législations sociales, il a pour nom Aide Sociale à l’Enfance (ASE). Réponse administrative paradoxale, préjudiciable à tous égards.
Ces jeunes sont pour la plupart d’origine africaine, arrivés clandestinement en France, en quête d’un sort plus enviable que celui auquel les destinait leur pays natal. Bien souvent choisis et encouragés par leurs proches qui consentent à payer des sommes élevées à des réseaux de passeurs sans scrupules. Sorte d’investissement en vue d’établir en retour une source de revenus. Depuis les migrations massives déclenchées par les « printemps arabes » et l’altération du climat, leur nombre ne cesse de progresser en dépit des contrôles aux frontières extérieures de l’Europe. Leur périple s’achève dans le bureau d’une association d’asile ou un poste de police qui saisissent le Procureur de la République aux fins d’un placement d’office à l’ASE. Sans certificats d’état-civil, ou munis de fausses attestations, ils se déclarent encore loin de leurs dix-huit ans, exposent les motivations de leur exil, décrivent les chemins empruntés les épreuves subies en des termes convenus. Faute de preuves irréfutables, l’autorité judiciaire, respectueuse de la présomption de minorité, leur reconnaît le statut de « Mineur Isolé Etranger ». En conséquence, elle les place sous la responsabilité de l’ASE dépendant du Conseil départemental. Ce service accompagne les familles en difficulté pour assurer la protection et l’éducation de leurs enfants et prend en charge les jeunes privés de leurs parents ou victimes de maltraitance. A l’origine service d’Etat, l’ASE fut décentralisée en 1983, bien avant l’explosion des migrations.
Nos valeurs humanistes et les conventions internationales nous dictent les principes d’une politique d’asile et d’immigration. Le sort des mineurs isolés étrangers mérite une attention particulière. Il n’est pas question ici de remettre en cause l’ASE. En revanche, il est permis de s’interroger sur les rôles respectifs des départements et de l’Etat en matière d’accueil et de prise en charge des mineurs étrangers Si le contrôle des frontières est perfectible, soyons réalistes. Dès lors que ces jeunes ont atteint leur majorité, qu’ils n’ont aucune intention de rentrer chez eux et que nous n’avons pas la volonté, ni les moyens, de les expulser, notre devoir est de leur délivrer un titre de séjour.
N’attendons pas que les patrons se lancent dans une grève de la faim, à l’exemple de ce boulanger de Besançon, qui obtint en janvier 2021 pour son apprenti guinéen le titre de séjour qui venait de lui être refusé par la préfecture du Doubs. Partout en France, des postes sont à pourvoir. Autoriser avec discernement les jeunes étrangers dont les parcours d’intégration sont exemplaires et les perspectives d’insertion réelles est un devoir. Réalisme, sens des responsabilités, pragmatisme nous invitent à faire justice de nos tabous. La transformation de la gouvernance publique et l’indispensable déconcentration doivent permettre au représentant de l’Etat, dans chaque département, de décider en conscience et confiance. Un signal du gouvernement en ce sens serait bienvenu.
Jean Arthuis
Le 22 août 2022