Jean Arthuis montre que tous les progrès de notre système social ont été répercutés sur les coûts de production et ont provoqué les délocalisations. Il est pourtant possible de réindustrialiser : voici comment.

Certains produits à base de paracétamol ont été en rupture de stock en France. (Patrick ALLARD/REA)

Par Jean Arthuis (président d’Euro App Mobility)

« Les Echos » Publié le 27 janv. 2023 à 7:34Mis à jour le 27 janv. 2023 à 7:37

Nous prenons enfin conscience de l’ampleur des biens et services que nous avons cessé de produire sur notre territoire. Dans un rapport sénatorial que j’avais publié en 1993, « Les délocalisations et l’emploi », j’avais mis en garde contre le processus déjà largement engagé et formulé des recommandations pour en freiner la dynamique, notamment la « TVA sociale ». L’appel à la réindustrialisation et aux relocalisations d’activités et d’emplois répond à un impératif vital de souveraineté. Pour lui éviter de n’être qu’une nouvelle incantation, prenons le temps d’analyser ce qui s’est accompli en France depuis une trentaine d’années.

Le déficit commercial en témoigne

Nous avons réussi, nous Français, l’exploit d’activer le progrès social en le finançant, en tant que de besoin par des cotisations et taxes pesant sur les prix de revient, tout en maintenant la stabilité des prix. Ni la réduction du temps de travail, ni le financement du système de santé et de la politique familiale par des cotisations assises sur le travail, sans parler de nos normes environnementales, n’ont correspondu à des gains de compétitivité suffisants pour contenir l’augmentation des prix de revient.

Dès lors, le recours aux délocalisations a permis, dans la sphère marchande, de maintenir la stabilité des prix. La grande distribution a pu faire usage de sa position dominante pour « défendre les consommateurs ». Dans la sphère publique, ce stratagème a permis de contenir les dépenses. Entre autres, la délocalisation en Inde et en Chine de médicaments et d’appareillages médicaux a compensé en partie le choc des 35 heures dans les établissements de santé. Dans cette spirale devenue imparable, le déficit de notre balance commerciale n’a cessé mécaniquement de s’aggraver depuis vingt ans, soulignant que nous consommons plus que ce que nous produisons.

Miser sur la TVA

Court-termisme et illusionnisme ont fait office de pilotage économique. Pouvons-nous convenir que toute nouvelle avancée sociale, non gagée par des améliorations de compétitivité, est une fanfaronnade ? L’objectif est de produire au moins l’équivalent de notre consommation collective, ce qui implique de travailler plus. Toutefois, compte tenu de nos réglementations de tous ordres, un risque d’inflation doit être assumé avec réalisme.

A l’heure de la « refondation », il est sage de repérer les anachronismes. Exercice délicat en matière de protection sociale. Il ne saurait être question de remettre en cause la Sécurité sociale car elle est au coeur de notre solidarité nationale. En revanche, osons un instant nous interroger sur l’impact de son financement. Assises sur le travail, les cotisations destinées aux branches santé et famille ne constituent-elles pas un impôt de production ? Lorsque nous privilégions l’achat de produits venant de l’étranger, moins chers que les équivalents made in France, ne nous dispensons-nous pas de financer nos régimes de solidarité sociale ? Le seul impôt que nous supportons est la TVA, le taux est le même que le produit soit français ou importé. Dans ces conditions, est-il injuste d’augmenter le taux de TVA en vue de compenser la suppression des cotisations sociales (à l’exception des retraites) comme l’ont fait déjà certains pays ? Essayons d’en évaluer les conséquences. Seuls les produits importés seraient plus chers, mais la concurrence obligerait les importateurs à raboter leurs marges. En revanche, sur les produits fabriqués en France, la hausse de TVA serait compensée par l’allégement des charges sociales et le prix demandé aux consommateurs resterait stable. Autre avantage, nos exportations seraient dynamisées.

In fine les citoyens payent

Reconnaissons que l’impôt est toujours supporté par les citoyens, les « ménages ». Tous les impôts et cotisations sociales font partie intégrante du prix de revient, seuil de ce que débourse le client. Prétendre qu’une partie de la charge publique est supportée par les entreprises est un sophisme. Ce débat désormais incontournable appelle sérénité et présentation objective, sans tabou ni esprit partisan. Maintenir des impôts de production, quels qu’ils soient, dans un marché unique européen largement ouvert au monde, c’est hypothéquer notre potentiel de création de biens et de services ainsi que les emplois qui en dépendent. Cessons de nous raconter des histoires fallacieuses. Réconcilions consommateurs et producteurs.

Jean Arthuisancien ministre